Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/54

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de ces situations où il y a toute licence pour l’injustice, ou bien étaient installés dans le mensonge au point d’avoir cru y pratiquer facilement la justice.

Il est juste de ne pas voler aux étalages. Il est charitable de faire l’aumône. Mais le boutiquier peut m’envoyer en prison. Le mendiant, quand même sa vie dépendrait de mon secours, si je le lui refuse, ne me dénoncera pas à la police.

Beaucoup de controverses entre la droite et la gauche se réduisent à l’opposition entre le goût du caprice individuel et le goût de la contrainte sociale ; ou plus exactement peut-être, entre l’horreur de la contrainte sociale et l’horreur du caprice individuel. La charité ni la justice n’y sont intéressées.

La justice a pour objet l’exercice terrestre de la faculté de consentement. Le préserver religieusement partout où il existe, essayer d’en faire apparaître les conditions là où il manque, c’est aimer la justice.

Le mot unique et si beau de justice enferme toute la signification des trois mots de la devise française. La liberté, c’est la possibilité réelle d’accorder un consentement. Les hommes n’ont besoin d’égalité que par rapport à elle. L’esprit de fraternité consiste à la souhaiter à tous.

La possibilité du consentement est fournie par une vie qui contienne des mobiles pour le consentement. Le dénuement, les privations de l’âme et du corps empêchent que le consentement puisse s’opérer dans le secret du cœur.

L’expression du consentement n’est indispensable qu’en second lieu. Une pensée non exprimée est imparfaite, mais si elle est réelle elle peut se frayer des chemins indirects vers l’expression. L’expression à laquelle ne correspond aucune pensée est un mensonge, et il y a toujours, partout, possibilité de mensonge.

L’obéissance étant en fait la loi imprescriptible de la vie humaine, il n’y a à établir de différence qu’entre