Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/56

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méprisions, que nous en voulions à ceux que nous n’avions pas choisis, et que nous obéissions à tous à contrecœur.

Le consentement ne se vend ni ne s’achète. Par suite, quelles que soient les institutions politiques, dans une société où les échanges d’argent dominent la plus grande partie de l’activité sociale, où presque toute l’obéissance est achetée et vendue, il ne peut pas y avoir liberté.

De même que l’oppression est analogue au viol, de même la domination de l’argent sur le travail, poussée au degré où l’argent devient le mobile du travail, est analogue à la prostitution.

L’enthousiasme n’est pas le consentement, c’est un entraînement superficiel de l’âme. Il est au consentement ce qu’est à l’union conjugale l’attachement maladif d’un débauché pour une femme vicieuse.

Là où il n’y a pas d’autres mobiles connus que la contrainte, l’argent et un enthousiasme soigneusement entretenu et stimulé, il n’y a pas possibilité de liberté.

Or tel est presque le cas, aujourd’hui, avec des dosages différents, de tous les pays de race blanche et de tous ceux que l’influence de la race blanche a pénétrés.

Si l’Angleterre dans une assez large mesure fait exception, c’est qu’en elle il y a encore un peu de passé vivant et intact. Ce passé, présent à travers elle, a été un moment l’unique lueur de salut pour le monde. Mais il n’y a pas de semblable trésor ailleurs.

La liberté n’est malheureusement pas pour nous une chose toute proche à retrouver, un objet familier qui aurait été dérobé par surprise. C’est une chose à inventer.

Nous, Français, nous avons jadis lancé dans le monde les principes de 1789. Mais nous avons tort d’en tirer de l’orgueil. Car ni alors ni depuis nous n’avons su ni les penser ni les mettre en pratique. Leur souvenir devrait plutôt nous conseiller l’humilité.