Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/59

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opération mécanique. Mais elles sont fixées encore plus rigoureusement. Il est encore plus impossible de trouver aucune ruse, aucune duperie, qui permette de les éviter.

Il n’est pas facile de combattre pour la justice. Il ne suffit pas de discerner quel camp est celui de la moindre injustice, et, y étant allé, de prendre les armes et de s’exposer aux armes ennemies. Certes cela est beau, plus que les paroles ne peuvent dire. Mais, en face, on fait exactement de même.

Il faut en plus être habité par l’esprit de justice. L’esprit de justice n’est pas autre chose que la fleur suprême et parfaite de la folie d’amour.

La folie d’amour fait de la compassion un mobile bien plus puissant que la grandeur, la gloire et même l’honneur, pour toute espèce d’action y compris le combat.

Elle contraint à abandonner toute chose pour la compassion, et, comme dit saint Paul du Christ, à se vider.

Au milieu même de la souffrance injustement infligée, elle fait consentir à subir la loi universelle qui expose toute créature de ce monde à l’injustice. Ce consentement soustrait l’âme au mal ; il a la vertu miraculeuse de transformer, dans l’âme où il a lieu, le mal en bien, l’injustice en justice ; par lui la souffrance, accueillie avec respect, sans bassesse ni révolte, devient chose divine.

La folie d’amour incline à discerner et à chérir également, dans tous les milieux humains sans exception, en tous lieux du globe, les fragiles possibilités terrestres de beauté, de bonheur et de plénitude ; à souhaiter les préserver toutes avec un soin également religieux ; là où elles manquent, à souhaiter réchauffer tendrement les moindres traces de celles qui ont existé, les moindres germes de celles qui peuvent naître.

La folie d’amour fait pénétrer dans un endroit du