Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/65

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La vérité est simple et peut être formulée en quelques mots.

La nation française ayant, en été 1940, abandonné tout souci de légitimité, le général de Gaulle a ramassé la légitimité jetée au rebut et s’en est constitué le dépositaire. Il l’a fait de sa propre initiative. Cette initiative n’a pas été contestée. Cette initiative non contestée fait de lui le dépositaire réel de la légitimité française jusqu’à ce que la nation soit en état de la lui réclamer.

Quand sera-t-elle en état de la faire ?

Non pas au moment de la libération du territoire. Non plus au moment où, techniquement, on pourra faire des élections. L’admettre serait une grave, une fatale erreur.

Ce serait admissible s’il s’agissait de continuer un régime interrompu quelques années par l’action de l’ennemi. Il s’agit de tout autre chose. Le pays a abandonné un régime qui ne lui inspirait plus la moindre parcelle d’attachement. Il a passé par une sorte de mort. Il aura une vie nouvelle à inventer.

Les pointes de sentimentalité tardivement apparues à l’égard d’une époque où il y avait du pain, du beurre, du vin et du tabac doivent être comptées exactement pour rien.

Ce n’est pas n’importe quelle Assemblée qui devra être élue. Ce devra être une Constituante. Il y a eu une fois en France une Assemblée Constituante ; à savoir en 1789. On ne peut pas compter l’avortement de 1848 ni la « République sans républicains » de 1875 comme des créations constitutionnelles.

L’assemblée de 1789 a pour ainsi dire poussé comme une plante au milieu d’une fièvre de pensée qui secoua la France entière pendant des mois. Il pullula des cercles de libre discussion. La rédaction des Cahiers de revendications leur donnait une raison d’être. Aucune discipline de parti, aucune propagande n’apportait son