Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/66

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poison. Quantité de gens cherchaient réellement la justice et la vérité. Ce fut un jaillissement de vraie pensée.

Ce jaillissement eut pour fruit naturel l’Assemblée. Elle conserva pendant des mois, pour l’invention d’une Constitution, l’inspiration dont elle procédait.

Qui sait ce qui en aurait résulté si le pays ne s’était jeté en 1792 dans la folie criminelle de la guerre ? Les écoles centrales, si différentes des lycées fabriqués par l’Empire, et tellement supérieures, montrent de quoi le génie créateur de la France était alors capable.

Nous n’aurons une Assemblée Constituante après le départ de l’ennemi que si, bien des mois avant qu’elle soit désignée, le peuple de France, dans son ensemble, s’est mis à penser. Et si les élus sont ceux qui ont été remarqués au cours d’un long effort de coopération dans la pensée, et non pas des hommes qui se sont imposés à l’attention publique par une publicité dégradante.

Il n’en résulterait pas que les élus seraient tous des intellectuels. Quand il s’agit de penser la justice, l’intelligence d’un ouvrier ou d’un paysan est mieux outillée que celle d’un normalien, d’un polytechnicien ou d’un élève des Sciences politiques.

Il faut seulement que le choix des élus se fasse sous la poussée d’un effort universel pour inventer une nouvelle France, et qu’une fois élus ce même effort, dont ils auront été imprégnés, constitue leur inspiration.

Si au lieu de cela le peuple se borne à choisir des hommes parmi ceux qui cherchent par des campagnes publicitaires à s’imposer à ses préférences, comme c’était naguère le cas, il n’y aura pas d’Assemblée Constituante. Il y aura une assemblée ; elle pourra étiqueter Constitution un ensemble de textes qu’elle aura votés ; mais le régime ainsi commencé ne sera pas légitime.

Quoi que prétende une fiction commode, la souveraineté ne se délègue pas. Si le peuple n’exerce pas la