Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/67

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sienne à travers ses représentants — et cela dépend bien plus des liens affectifs entre électeurs et élus que des modalités du scrutin — il n’est pas représenté du tout, et l’ensemble du pouvoir politique est usurpé.

La France ne peut être regardée à juste titre comme capable de reprendre en main la légitimité perdue que lorsqu’elle sera plus ou moins capable de ce genre d’élections constituantes. Le malheur récent est un excitant pour la pensée, et par suite cette capacité sera au plus haut point assez peu de temps après la libération ; pourtant il faut aussi un certain degré de calme, d’équilibre, de sérénité.

Deux ou trois ans, cela semble un délai raisonnable.

Pendant ces deux ans — en admettant que ce chiffre soit bon — il convient que le dépositaire de la légitimité la garde en dépôt. Mais il devra gouverner. Il sera forcé de prendre aussitôt des mesures économiques dont dépendra peut-être la destinée du pays pour des siècles. Le problème des colonies se posera peut-être tout de suite. Et à coup sûr la vie ou la mort d’un grand nombre de Français, suspects d’avoir servi l’ennemi, dépendront entièrement de sa décision.

Qu’est-ce qui pourra le soutenir dans ces responsabilités ? Qu’est-ce qui pourra persuader les Français de consentir à les lui laisser ? L’initiative originelle par laquelle il a pris la légitimité en dépôt ne suffira plus.

Il possédera un degré supplémentaire de légitimité si de plus en plus, pendant la période qui aura précédé la libération du territoire, le peuple français lui a librement obéi. Obéi d’une manière effective. Les déclarations reconnaissant son autorité, ce sont des paroles, ce n’est pas de l’obéissance en acte. La lutte contre les Allemands n’est pas non plus obéissance envers lui ; ce n’est pas son autorité qui y pousse les Français, c’est la haine qu’excitent les Allemands. Son autorité peut s’exercer sur l’inspiration, la direction, les modalités de cette lutte. Mais c’est son autorité