Page:Weil - Écrits de Londres et dernières lettres, 1957.djvu/69

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rément. Cela peut surprendre un arithméticien, mais c’est ainsi.

Le gouvernement provisoire devra chercher la légitimité ailleurs.

Toutes les forces visibles de légitimité ayant péri, elle ne peut être que puisée à la source.

Il faut en penser complètement la notion. Penser les notions fondamentales, comme si c’étaient des choses nouvelles, est une nécessité sans doute pénible, mais à laquelle aujourd’hui nous ne pouvons nous soustraire sous peine de catastrophe.


Si celui qui gouverne a pour mobile le souci de la justice et du bien public, si le peuple a l’assurance qu’il en est ainsi et des motifs raisonnables d’être assuré que cela continuera, si le chef ne désire conserver le pouvoir qu’autant que le peuple conserve cette assurance, il y a gouvernement légitime.

Il s’agit là, bien entendu, d’une limite.

Les systèmes politiques qui définissent une légitimité sont tous composés d’un double mécanisme. L’un est destiné à mettre celui ou ceux qui détiennent le pouvoir dans l’état d’attachement à la légitimité. L’autre est un mécanisme pénal fait pour empêcher par la crainte ou réprimer par le châtiment tout écart relativement à la légitimité. Si ce double mécanisme fonctionne efficacement, l’assurance du peuple est raisonnablement fondée.

Pour les rois, l’éducation, le sacre, l’étiquette et le cérémonial répondent à la première fin. La pénalité en cas de manquement est fournie par la continuité même de la dynastie. Un roi sait que son règne demeurera dans la mémoire du peuple, que les auteurs des chroniques le jugeront, que ses fils, petits-fils, et ainsi de suite, seront, selon le cas, fiers ou honteux de lui. La postérité est pour lui une réalité aussi concrète que pour un poète classique.