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est comme elle hors de l’atteinte de toutes les facultés humaines. Le respect qu’il fait ressentir dès qu’il est reconnu ne peut pas lui être témoigné.

Ce respect ne peut trouver ici-bas aucune espèce d’expression directe. S’il n’est pas exprimé, il n’a pas d’existence. Il y a pour lui une possibilité d’expression indirecte.

Le respect inspiré par le lien de l’homme avec la réalité étrangère à ce monde se témoigne à la partie de l’homme située dans la réalité de ce monde.

La réalité de ce monde est la nécessité. La partie de l’homme qui y est située est la partie abandonnée à la nécessité et soumise à la misère du besoin.

Il existe pour le respect ressenti envers l’être humain une seule possibilité d’expression indirecte, qui est fournie par les besoins des hommes en ce monde-ci, les besoins terrestres de l’âme et du corps.

Elle est fondée sur une liaison établie dans la nature humaine entre l’exigence de bien qui est l’essence même de l’homme et la sensibilité. Rien n’autorise jamais à croire d’aucun homme qu’en lui cette liaison n’existe pas.

Par elle, lorsque, du fait des actes ou des omissions des autres hommes, la vie d’un homme est détruite ou mutilée par une blessure ou une privation de l’âme ou du corps, ce n’est pas en lui la sensibilité seule qui subit le coup, mais aussi l’aspiration au bien. Il y a alors eu sacrilège envers ce que l’homme enferme de sacré.

La sensibilité peut au contraire être seule en jeu, si un homme subit une privation ou une blessure par le seul mécanisme des forces naturelles, ou s’il se rend compte que ceux qui semblent la lui infliger, loin de lui vouloir aucun mal, obéissent uniquement à une nécessité reconnue par lui-même.

La possibilité d’expression indirecte du respect envers l’être humain est le fondement de l’obligation.