Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/109

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ment que Prométhée se livre au malheur par amour pour les misérables humains. « Je savais tout cela, j’ai consenti, j’ai consenti à être dans mon tort », ἑκων, ἑκων ἥμαρτον (hekôn, hekôn, hêmarton).

Au moment seulement où le malheur s’abat il n’y a plus liberté, mais contrainte. Le malheur est non seulement subi par contrainte, mais aussi infligé par contrainte. Au lieu de ἑκόνθ’ ἑκόντι (hêkonth’ hekonti) on a ici la formule ἄκοντα σ’ἄκων (akonta s’akôn) (invitum invitus) dans la bouche de Héphaïstos, maître du feu, fils de Zeus et chargé par lui du supplice de Prométhée. « C’est sans ton consentement ni le mien que je vais te clouer. » À ce moment Dieu apparaît comme soumis à la nécessité ; non seulement Dieu comme victime, mais Dieu comme bourreau ; non seulement le Dieu qui a pris la forme d’un esclave, mais aussi le Dieu qui a gardé la forme du maître.

Mais la réconciliation entre Prométhée et Zeus sera de nouveau libre de part et d’autre : σπεύδων σπεύδοντι (speudôn spendonti).

Remarquer que Héphaïstos parle de Prométhée comme d’un dieu de même origine, συγγενῆ θεόν (suggenê theon), et son ami. Il est le dieu du feu artiste.

Le feu surnaturel, divin, que Prométhée a donné aux hommes est le même qui bien malgré lui le mène au supplice.

Le sacrifice de Prométhée n’apparaît à aucun moment comme un fait historique daté, qui se serait produit en un point du temps et de l’espace. Hésiode, quoique à un endroit il parle de la délivrance de Prométhée, à un autre endroit parle de Prométhée comme étant toujours cloué au rocher.

L’histoire de Prométhée est comme la réfraction dans