Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/118

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C’est là un don des dieux aux hommes, du moins cela est évident pour moi ; et de quelque endroit du séjour des dieux il a été jeté par un Prométhée en même temps qu’un feu très lumineux ; et les anciens, qui valaient mieux que nous et habitaient plus près des dieux, nous ont transmis cette tradition. La voici. C’est que les réalités dites éternelles procèdent de l’un et du plusieurs et portent enracinées en elles la limite et l’indétermination. Nous devons donc, puisque il y a dans les choses cet ordre éternel, chercher et poser dans n’importe quel domaine une unité. Nous la trouverons, car elle y est. Si nous l’avons saisi, il faut, après l’unité, examiner la dualité, si elle s’y trouve, ou sinon la triade, ou tout autre nombre. Puis il faut faire de même pour chacune de ces unités subordonnées. À la fin ce qui à l’origine était un apparaît non seulement comme un et plusieurs et illimité à la fois, mais encore avec un nombre. Il ne faut pas appliquer l’indétermination à la pluralité, jusqu’à ce qu’on ait parfaitement bien vu le nombre de la pluralité, le nombre qui est intermédiaire entre l’indétermination et l’unité. Alors seulement il faut laisser l’unité spécifique de toutes les choses se perdre dans l’indéterminé. Les dieux donc, comme je le disais, nous ont transmis cette méthode pour chercher, apprendre et enseigner. Les hommes instruits d’aujourd’hui font l’unité au hasard, et la pluralité plus vite et plus lentement qu’il ne faut, et passent tout de suite de l’unité aux choses indéterminées ; ce qui est intermédiaire leur échappe.

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C’est à partir de là que sont produites pour nous les saisons et tout ce qui est beau, à partir des choses indéterminées et de ce qui enferme la limite, du fait qu’il y a mélange.

(La limite c’est « l’essence de l’égal et du double et de tout ce qui empêche les choses contraires entre elles de diverger, mais les met en proportion et en accord en y imprimant le nombre ».)

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Je dis donc que quand l’harmonie est dénouée chez nous, dans les êtres vivants, la nature se dénoue en même temps