Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/127

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est un scandale, une absurdité, une chose contre nature.

Les Grecs éprouvaient un émerveillement supplémentaire, comme l’Épinomis l’indique, à trouver dans la nature sensible cette médiation comme une marque, un sceau de la vérité suprême. Par exemple dans la musique. La gamme ne contient pas la moyenne géométrique comme note, mais elle est disposée symétriquement autour d’elle ; il y a la même moyenne géométrique entre une note et son octave et entre la quarte et la quinte. On le voit tout de suite par les chiffres 6, 8, 9, 12, car . La quarte et la quinte sont elles-mêmes deux espèces de moyennes entre les notes à l’octave (car , et ). Tel est d’après l’Épinomis le principe de l’harmonie musicale. Dans le Banquet il est dit que l’harmonie est une identité de rapports, homologia, terme qui au sens le plus rigoureux doit désigner la proportion.

Toute la science grecque dans toutes ses branches n’est que recherche de proportions soit à trois, soit à quatre termes. C’est ainsi que les Grecs inventèrent la notion de fonction, qui est simplement la notion de deux quantités qui varient proportionnellement sans cesser d’être liées par un rapport fixe. La première et la plus brillante application de cette notion à l’étude de la nature est la théorie des corps flottants d’Archimède, théorie purement géométrique. Ce que nous appelons dans notre conception scientifique du monde une loi n’est pas autre chose que l’application à la nature de la notion de fonction.

L’âme de notre science est la démonstration. La méthode expérimentale ne diffère du plus grossier empirisme que par le rôle qu’y joue la déduction. D’après les