Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/129

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ont pas voulu. Leurs connaissances algébriques, qui étaient très avancées, sont toutes contenues dans leur géométrie.

D’un autre côté, ce n’étaient pas les résultats qui leur importaient, la quantité ou l’importance des théorèmes découverts, mais seulement la rigueur des démonstrations. Ceux qui n’avaient pas cet état d’esprit étaient méprisés.

La notion de nombre réel, fournie par la médiation entre un nombre quelconque et l’unité, était matière à des démonstrations aussi rigoureuses, aussi évidentes que celles de l’arithmétique, et en même temps incompréhensibles par l’imagination. Cette notion force l’intelligence à saisir avec certitude des rapports qu’elle est incapable de se représenter. C’est là une introduction admirable aux mystères de la foi.

Par là on peut concevoir un ordre de certitude, à partir des pensées incertaines, et facilement saisissables, qui concernent le monde sensible jusqu’aux pensées tout à fait certaines et tout à fait insaisissables qui concernent Dieu.

La mathématique est doublement une médiation entre les unes et les autres. Elle a le degré intermédiaire de certitude, le degré intermédiaire d’inconcevabilité. Elle enferme le résumé de la nécessité qui gouverne les choses sensibles et les images des vérités divines. Enfin elle a pour centre la notion même de médiation.

On comprend facilement que les Grecs, quand ils ont aperçu cette poésie, en aient été enivrés ; ils avaient le droit d’y voir une révélation.

Aujourd’hui nous ne pouvons plus concevoir cela, parce que nous avons perdu cette idée que la certitude absolue convient seule aux choses divines. Nous voulons