Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/130

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la certitude pour les choses matérielles. Pour les choses qui concernent Dieu, il nous suffit de la croyance. Il est vrai que la simple croyance arrive très bien à avoir la force de la certitude quand elle est chauffée à blanc par le feu des sentiments collectifs ; mais elle n’en reste pas moins croyance. Sa force est mensongère.

Notre intelligence est devenue si grossière que nous ne concevons même plus qu’il puisse y avoir une certitude authentique, rigoureuse, concernant des mystères incompréhensibles. Il y aurait sur ce point un usage infiniment précieux à faire de la mathématique. Elle est irremplaçable à cet égard.

L’exigence de rigueur parfaite qui habitait les géomètres grecs a disparu avec eux, et depuis cinquante ans seulement les mathématiciens y reviennent. Ce n’est encore aujourd’hui pour eux qu’un idéal analogue à celui de l’art pour l’art chez les poètes parnassiens. Mais c’est une des failles par où le christianisme véritable peut de nouveau filtrer dans le monde moderne. L’exigence de la rigueur n’est pas quelque chose de matériel. Quand cette exigence est absolue, elle est trop évidemment disproportionnée, dans la mathématique, à son objet, à savoir des rapports de quantité, et à ses conditions, à savoir une axiomatique ramenant tous les théorèmes à quelques axiomes arbitrairement choisis. Dans la mathématique cette exigence se détruit elle-même. Elle doit y apparaître un jour comme une exigence s’exerçant dans le vide. Ce jour-là elle sera proche d’être comblée. Le besoin de certitude rencontrera son véritable objet.

La miséricorde de Dieu empêche la mathématique de sombrer dans la simple technique. Car là où on cultive la mathématique seulement sur le plan technique, on ne réussit pas même sur le plan technique ; l’expérience en