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manière de rendre compte à l’intelligence du dogme de la Trinité.

Si on pense Dieu seulement comme un, on le pense ou comme une chose, et alors il n’est pas acte, ou comme un sujet, et alors, pour être en acte, il a besoin d’un objet, de sorte que la création serait nécessité et non pas amour. Dieu ne serait pas exclusivement amour et bien.

Nous, êtres humains, étant des sujets qui ne sommes tels que par le contact perpétuel avec un objet, nous ne pouvons concevoir Dieu comme parfait qu’en le concevant comme étant à la fois sujet et objet.

Mais Dieu est essentiellement sujet, pensant et non pas pensée. Son nom est « Je suis ». C’est son nom en tant que sujet, c’est aussi son nom en tant qu’objet, c’est aussi son nom en tant que contact du sujet et de l’objet.

Toute pensée humaine implique trois termes, un sujet qui pense et qui est une personne, un objet pensé, et la pensée elle-même, qui est le contact des deux. La formule d’Aristote : « La pensée est la pensée de la pensée », désigne ces trois termes, à condition qu’on prenne le mot pensée chaque fois en un sens différent.

Pour nous représenter Dieu comme une pensée pensante et non pas comme une chose, nous devons nous représenter ces trois termes dans la pensée divine ; mais la dignité divine exige que ces trois termes soient chacun une Personne, quoiqu’il y ait un seul Dieu. La dignité divine empêche que le mot pensée, quand il s’agit de Dieu, soit jamais pris au passif ; le verbe penser, au sujet de Dieu, ne peut être pris qu’à l’actif. Ce que Dieu pense est encore un être qui pense. C’est pourquoi on dit que c’est le Fils, ou l’Image, ou la Sagesse de Dieu.

Telle est la pensée parfaite telle que nous autres hommes pouvons en saisir le caractère inconcevable. Toute