Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre représentation que nous pouvons nous en faire est plus facile à imaginer, mais est infiniment loin de la perfection. C’est pourquoi l’intelligence peut adhérer pleinement et sans aucune incertitude au dogme de la Trinité, quoiqu’elle ne puisse pas le comprendre.

Si on interprète la définition de l’amitié comme une égalité parfaite d’harmonie au moyen de la définition de l’harmonie comme la pensée, commune des pensants séparés, c’est la Trinité même qui est l’amitié par excellence. L’égalité est l’égalité entre un et plusieurs, entre un et deux ; les contraires dont l’harmonie constitue l’unité sont l’unité et la pluralité, qui sont le premier couple de contraires. C’est pourquoi Philolaos parle d’une part de l’un comme première origine, d’autre part de l’unité comme étant le premier composé. Celle-ci, il la nomme Hestia, le foyer central, le feu central ; et le feu correspond toujours au Saint-Esprit. La formule : « L’amitié est une égalité faite d’harmonie » enferme d’ailleurs les deux relations indiquées par saint Augustin dans la Trinité, égalité et connexion. La Trinité est la suprême harmonie et la suprême amitié.

L’harmonie est l’unité des contraires. Le premier couple de contraires est un et deux, unité et pluralité, et il constitue la Trinité. (Platon avait sans doute aussi dans la pensée la Trinité comme harmonie première quand il nomme les termes du premier couple de contraires le Même et l’Autre, dans le Timée.) Le second couple de contraires est l’opposition entre créateur et créature. Dans le langage pythagoricien, cette opposition s’exprime comme corrélation entre ce qui limite et ce qui est illimité, c’est-à-dire ce qui reçoit sa limitation du dehors. Le principe de toute limitation est Dieu. La création est de la matière mise en ordre par Dieu, et cette action