Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/134

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ordonnatrice de Dieu consiste à imposer des limites. C’est bien là aussi la conception de la Genèse. Ces limites sont ou des quantités ou quelque chose d’analogue à la quantité. Ainsi, en prenant le mot dans son sens le plus large, on peut dire que la limite est nombre. De là, la formule de Platon : « Le nombre est l’intermédiaire entre l’un et l’illimité. » Le un suprême est Dieu, et c’est lui qui limite.

Dans le Philèbe, Platon indique les deux premiers couples de contraires dans leur ordre et marque la hiérarchie qui les sépare quand il écrit : « La réalité dite éternelle procède de l’un et du plusieurs et porte enracinés en soi la limite et l’illimité. » La limite et l’illimité, c’est la création, dont la racine est en Dieu. L’un et le plusieurs, c’est la Trinité, origine première. Le nombre apparaît dans la Trinité comme le second terme de l’opposition, et, si on l’identifie à la limite, il apparaît dans le principe de la création comme le premier terme. Il est donc bien quelque chose comme une moyenne proportionnelle. Il ne faut pas oublier qu’en grec arithmos et logos sont deux termes exactement synonymes. La conception qu’expose Platon au début du Philèbe, conception d’une profondeur et d’une fécondité merveilleuses, c’est que toute étude et toute technique, par exemple l’étude du langage, de l’alphabet, de la musique, et ainsi de suite, doit reproduire à son niveau l’ordre de cette hiérarchie primordiale, à savoir unité, nombre au sens le plus large, et illimité. Ainsi l’intelligence est une image de la foi.

Puisqu’il y a en Dieu en tant que créateur un second couple de contraires, il y a aussi en Dieu une harmonie et une amitié qui n’est pas définie par le seul dogme de la Trinité. Il faut qu’il y ait aussi en Dieu unité entre le principe créateur et ordonnateur de limitation et la matière inerte qui est indétermination. Pour cela il faut que