Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/135

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non seulement le principe de limitation, mais aussi la matière inerte et l’union entre les deux soient des Personnes divines, puisqu’il ne peut pas y avoir de relation en Dieu dont les termes ne soient pas des Personnes ainsi que le lien qui les lie. Mais la matière inerte ne pense pas ; elle ne peut être une personne.

Les difficultés insolubles sont résolues par le passage à la limite. Il y a une intersection entre une personne et la matière inerte ; cette intersection, c’est un être humain au moment de l’agonie, quand les circonstances précédant l’agonie ont été brutales au point d’en faire une chose. C’est un esclave agonisant, un peu de chair misérable clouée sur une croix.

Si cet esclave est Dieu, s’il est la seconde Personne de la Trinité, s’il est uni à la Première par le lien divin qui est la troisième Personne, on a la perfection de l’harmonie telle que la concevaient les Pythagoriciens, l’harmonie où il se trouve entre les contraires le maximum de distance et le maximum d’unité. « La pensée commune des pensants séparés. » Il ne peut pas y avoir de pensée plus une que la pensée du Dieu unique. Il ne peut pas y avoir des êtres pensants plus séparés que le Père et le Fils au moment où le Fils pousse le cri éternel : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Ce moment est la perfection incompréhensible de l’amour. C’est l’amour qui passe toute connaissance.

La preuve ontologique, la preuve par la perfection, qui d’ailleurs n’est pas une preuve pour l’intelligence comme telle, mais seulement pour l’intelligence animée par l’amour, cette preuve ne pose pas seulement la réalité de Dieu, mais aussi les dogmes de la Trinité, de l’Incarnation et de la Passion. Cela ne signifie pas, bien entendu, que ces dogmes aient pu être trouvés par la raison hu-