Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/136

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maine sans révélation ; mais une fois apparus, ils s’imposent à l’intelligence avec certitude, si seulement elle est éclairée par l’amour, de manière qu’elle ne puisse pas refuser d’y adhérer, quoiqu’ils soient hors de son domaine et qu’elle n’ait pas qualité pour les affirmer ou les nier. Dieu n’est parfait que comme Trinité, et l’amour qui constitue la Trinité trouve sa perfection seulement dans la Croix.

Dieu a voulu donner à son Fils beaucoup de frères. La définition pythagoricienne de l’amitié s’applique merveilleusement et à notre amitié avec Dieu et aux amitiés entre hommes.

« L’amitié est une égalité faite d’harmonie. » Si on prend harmonie au sens de moyenne géométrique, si on conçoit que la seule médiation entre Dieu et l’homme est un être à la fois Dieu et homme, on passe directement de cette formule pythagoricienne aux merveilleuses formules de l’Évangile de saint Jean. Par l’assimilation avec le Christ, qui ne fait qu’un avec Dieu, l’être humain, gisant tout au fond de sa misère, atteint une espèce d’égalité avec Dieu, une égalité qui est amour. Saint Jean de la Croix, parlant du mariage spirituel avec l’autorité de l’expérience, répète constamment que dans l’union suprême Dieu veut par amour établir entre l’âme et Lui une espèce d’égalité. Saint Augustin dit aussi « Dieu a été fait homme afin que l’homme soit fait dieu ». L’harmonie est le principe de cette espèce d’égalité, l’harmonie, c’est-à-dire le lien entre les contraires, la moyenne proportionnelle, le Christ. Ce n’est pas directement entre Dieu et l’homme qu’il y a quelque chose d’analogue à un lien d’égalité, c’est entre deux rapports.

Quand Platon, dans le Gorgias, parle d’égalité géométrique, cette expression est sans doute exactement équi-