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Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/141

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qui est juste n’est examiné que s’il y a nécessité égale de part et d’autre ; au contraire s’il y a un fort et un faible, le possible est accompli par le premier et accepté par le second. » Il ajoute : « Nous croyons à l’égard des dieux, nous avons la certitude à l’égard des hommes que toujours, par une nécessité de la nature, chacun commande partout où il en a le pouvoir. »

Hors les occasions où il y a nécessité égale de part et d’autre, la justice est une amitié surnaturelle qui procède de l’harmonie. L’harmonie est l’unité des contraires ; les contraires, ce sont cet être qui est le centre du monde et cet autre qui est un petit fragment dans le monde. Il ne peut y avoir unité que si la pensée accomplit pour tout ce qu’elle embrasse une opération analogue à celle qui permet de percevoir l’espace en rabattant à leur rang les illusions de la perspective. Il faut reconnaître que rien dans le monde n’est le centre du monde, que le centre du monde est hors du monde, que nul ici-bas n’a le droit de dire je. Il faut renoncer en faveur de Dieu, par amour de Lui et de la vérité, à ce pouvoir illusoire qu’Il nous a accordé de penser à la première personne. Il nous l’a accordé pour qu’il nous soit possible d’y renoncer par amour. Dieu seul a le droit de dire « Je suis » ; « Je suis » est son nom et n’est le nom d’aucun autre être. Mais ce renoncement ne consiste pas à transporter sa propre position de centre du monde en Dieu comme certains la transportent dans un autre homme. Ce serait aimer Dieu comme l’Œnone de Racine aime Phèdre, comme son Pylade aime Oreste. Certains aiment Dieu ainsi. Quand même ils mourraient martyrs, ce n’est pas là le véritable amour de Dieu. Le « Je suis » de Dieu, qui est véritable, diffère infiniment du « je suis » illusoire des hommes. Dieu n’est pas une personne à la manière dont un homme