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thagoriciens, nomme animal tout ce qui est collectif. Ce piège est le plus dangereux qui soit tendu ici-bas à l’amour. D’innombrables chrétiens y sont tombés au cours des siècles et y tombent de nos jours.

La justice surnaturelle, l’amitié ou l’amour surnaturel se trouvent enfermés dans toutes les relations humaines où sans qu’il y ait égalité de force et de besoin il y a recherche du consentement mutuel. Le désir du consentement mutuel est charité. C’est une imitation de la charité incompréhensible qui persuade à Dieu de nous laisser notre autonomie.

En plus de la Trinité, de l’Incarnation, de la charité entre Dieu et l’homme et de la charité entre hommes, il y a une cinquième forme d’harmonie, celle qui concerne les choses. Elle englobe aussi l’homme pour autant que l’homme est une chose, c’est-à-dire tout l’homme, corps et âme, sauf la faculté de libre consentement. Elle englobe par suite ce que chacun nomme moi. Cette cinquième forme d’harmonie, ne concernant pas de part et d’autre des personnes, ne constitue pas une amitié. Les contraires auxquels elle se rapporte sont le principe qui limite et ce qui reçoit les limites du dehors, c’est-à-dire Dieu et la matière inerte comme telle. L’intermédiaire est la limite, le réseau de limites qui tient toutes choses en un seul ordre et dont Lao Tseu a dit : « Le filet du ciel est bien large, mais nul ne peut passer au travers. »

La notion de ce couple de contraires n’est nullement évidente, elle est même d’abord très obscure. Elle est aussi très profonde. Elle enferme toutes les grandes constructions qu’on a faites au cours des siècles sous le nom de théories de la connaissance.

C’est le nombre, dit Philolaos, qui donne aux choses un corps. Il ajoute que le nombre opère cet effet en ren-