Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/146

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dant les choses connaissables conformément à l’essence du gnomon. Le gnomon, s’il faut prendre le mot dans son sens premier, est la tige verticale du cadran solaire. Cette tige reste fixe pendant que soi l’ombre tourne et change de longueur. La variation de l’ombre est déterminée par la fixité de la tige, étant donné le mouvement tournant du soleil. Cette relation est celle que la mathématique désigne aujourd’hui sous les noms d’invariant et groupe de variation. C’est une des notions fondamentales de l’esprit humain.

On est surpris de lire que le nombre donne aux choses un corps. On attendrait plutôt une forme. Pourtant la formule de Philolaos est littéralement vraie. Toute analyse serrée et rigoureuse de la perception, de l’illusion, de la rêverie, du rêve, des états plus ou moins proches de l’hallucination montre que la perception du monde réel ne diffère des erreurs qui lui ressemblent que parce qu’elle enferme un contact avec une nécessité. (Maine de Biran, Lagneau et Alain sont sur ce point ceux qui ont eu le plus de discernement.) La nécessité nous apparaît toujours comme un ensemble de lois de variation déterminées par des rapports fixes et invariants. La réalité pour l’esprit humain n’est pas autre chose que le contact de la nécessité. Il y a là une contradiction, car la nécessité est intelligible, non tangible. Ainsi le sentiment de la réalité constitue une harmonie et un mystère. Nous nous persuadons de la réalité d’un objet en en faisant le tour, opération qui produit successivement des apparences variées déterminées par la fixité d’une forme autre que toutes les apparences et extérieure à elles, transcendante à leur égard. Par cette opération nous connaissons que l’objet est une chose, non un fantôme, qu’il a un corps. Les rapports de quantité qui jouent le rôle du gno-