Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/147

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mon constituent donc bien le corps de l’objet. Lagneau, qui d’ailleurs ignorait sans doute la formule de Philolaos, faisait cette analyse au moyen d’une boîte cubique. Aucune des apparences de la boîte n’a la forme d’un cube, mais pour qui tourne autour de la boîte, la forme du cube est ce qui détermine la variation de la forme apparente. Cette détermination constitue si bien pour nous le corps même de l’objet qu’en regardant la boîte nous croyons voir un cube, ce qui pourtant n’est jamais le cas. Le rapport du cube, qui à proprement parler n’est jamais vu aux apparences produites par la perspective est comme le rapport de la tige du cadran solaire avec les ombres. L’exemple du cube est peut-être même plus beau. L’une et l’autre relation peuvent par une transposition analogique fournir la clef de toute connaissance humaine. Il y a avantage à les méditer indéfiniment.

La réalité de l’univers pour nous n’est pas autre chose que la nécessité, dont la structure est celle du gnomon, supportée par quelque chose. Il lui faut un support, car la nécessité par elle-même est essentiellement conditionnelle. Sans support, elle n’est qu’abstraction. Sur un support, elle constitue la réalité même de la création. Quant au support, nous ne pouvons en avoir aucune conception. Il est ce que les Grecs nommaient d’un mot (apeiron) qui veut dire à la fois illimité et indéterminé. C’est ce que Platon nommait le réceptacle, la matrice, le porte-empreintes, l’essence qui est mère de toutes choses et en même temps toujours intacte, toujours vierge. L’eau en est la meilleure image, parce qu’elle n’a ni forme ni couleur, bien qu’elle soit visible et tangible. Il est impossible à ce sujet de ne pas remarquer que les mots matière, mère, mer, Marie se ressemblent au point d’être presque identiques. Ce caractère de l’eau rend compte de