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son usage symbolique dans le baptême plus que son pouvoir de laver.

Pour nous, la matière est simplement ce qui est soumis à la nécessité. Nous n’en connaissons pas autre chose. La nécessité est constituée pour nous par des lois quantitatives de variation dans les apparences. Là où il n’y a pas quantité à proprement parler, il y a quelque chose d’analogue. Une loi quantitative de variation, c’est une fonction. La fonction est ce que les Grecs nommaient nombre ou rapport, arithmos ou logos, et c’est elle encore qui constitue la limite. L’image la plus claire de la fonction est fournie par la série continue des triangles ayant les mêmes angles. C’est une proportion. C’est la géométrie qui fait apparaître la notion de fonction.

La nécessité est une ennemie pour l’homme tant qu’il pense, à la première personne. À vrai dire il a avec elle les trois espèces de rapports qu’il a avec les hommes. Par la rêverie ou par l’exercice de la puissance sociale elle semble son esclave. Dans les contrariétés, les privations, les peines, les souffrances, mais surtout dans le malheur elle apparaît comme un maître absolu et brutal. Dans l’action méthodique il y a un point d’équilibre où la nécessité, par son caractère conditionnel, présente à la fois à l’homme des obstacles et des moyens par rapport aux fins partielles qu’il poursuit, et où il y a une espèce d’égalité entre le vouloir d’un homme et la nécessité universelle. Ce point d’équilibre est aux rapports de l’homme avec le monde ce qu’est la justice naturelle aux rapports entre les hommes ; dans l’organisation du travail, de la technique et de toute l’activité humaine il faut s’efforcer de l’obtenir le plus souvent possible. Car la tâche propre du législateur est de susciter dans toute la mesure du possible dans la vie sociale les images naturelles des