Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/149

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vertus surnaturelles. Cet équilibre actif entre l’homme et la nécessité universelle, joint à l’équilibre des forces et des besoins entre les hommes, constituerait, si pareille chose pouvait exister longtemps, le bonheur naturel. L’aspiration au bonheur naturel est bonne, saine et précieuse ; de même qu’il est bon pour la santé d’un enfant qu’il soit attiré vers les aliments par leur saveur, quoique la composition chimique et non pas la saveur en constitue la vertu. L’expérience et le désir des joies surnaturelles ne détruisent pas dans l’âme l’aspiration au bonheur naturel, mais lui confèrent une plénitude de signification. Le bonheur naturel n’a de véritable valeur que quand une joie parfaitement pure s’y surajoute par le sentiment de la beauté. Le crime et le malheur, chacun d’une manière différente, mais avec une égale efficacité, détruisent au contraire pour toujours l’aspiration au bonheur naturel.

L’équilibre entre le vouloir humain et la nécessité dans l’action méthodique est seulement une image ; si on le prend pour une réalité, c’est un mensonge. Notamment ce que l’homme prend pour des fins, ce sont toujours simplement des moyens. La fatigue force à s’apercevoir de l’illusion. Dans l’état de fatigue intense, l’homme cesse d’adhérer à sa propre action et même à son propre vouloir ; il se perçoit comme une chose qui en pousse d’autres parce qu’elle est elle-même poussée par une contrainte. Effectivement la volonté humaine, quoiqu’un certain sentiment de choix y soit irréductiblement attaché, est simplement un phénomène parmi tous ceux qui sont soumis à la nécessité. La preuve est qu’elle comporte des limites. L’infini seul est hors de l’empire de la nécessité.

Dans l’univers, l’homme n’éprouve la nécessité que