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nécessité analogue à la nécessité mathématique. C’est pourquoi les Pythagoriciens disaient qu’on ne connaît que le nombre. Ils nommaient la nécessité mathématique nombre ou rapport (logos ou logismos).

La nécessité mathématique est un intermédiaire entre toute la partie naturelle de l’homme, qui est matière corporelle et psychique, et la parcelle infiniment petite de lui-même qui n’appartient pas à ce monde. L’homme, bien qu’il s’efforce, mais souvent vainement, d’entretenir en lui-même l’illusion contraire, est ici-bas l’esclave des forces de la nature qui le dépassent infiniment. Cette force qui gouverne le monde et fait obéir tout homme, comme un maître armé d’un fouet fait obéir à coup sûr un esclave, cette force est la même chose que l’esprit humain conçoit sous le nom de nécessité. Le rapport de la nécessité à l’intelligence n’est plus le rapport du maître à l’esclave. Ce n’est pas non plus le rapport inverse, ni le rapport de deux hommes libres. C’est le rapport de l’objet contemplé au regard. La faculté qui dans l’homme regarde la force la plus brutale, comme on regarde un tableau, en la nommant nécessité, cette faculté n’est pas ce qui dans l’homme appartient à l’autre monde. Elle est à l’intersection des deux mondes. La faculté qui n’appartient pas à ce monde est celle du consentement. L’homme est libre de consentir ou non à la nécessité. Cette liberté n’est actuelle en lui que lorsqu’il conçoit la force comme nécessité, c’est-à-dire lorsqu’il la contemple. Il n’est pas libre de consentir à la force comme telle. L’esclave qui voit le fouet se lever sur lui ne consent pas, ne refuse pas son consentement, il tremble. Pourtant, sous le nom de nécessité, c’est bien à la force brutale que consent l’homme, lorsqu’il consent, c’est bien au fouet. Aucun mobile, aucun motif ne peut être