Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/156

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l’ordre du temps. » Considéré en lui-même, tout changement, par suite tout phénomène, si petit soit-il, enferme le principe de la destruction de l’ordre universel. Au contraire, considéré dans sa connexion avec tous les phénomènes contenus dans la totalité de l’espace et du temps, connexion qui lui impose une limite et le met en rapport avec une rupture d’équilibre égale et inverse, chaque phénomène contient en lui-même la présence totale de l’ordre du monde.

La nécessité étant médiatrice entre la matière et Dieu, nous concevons la volonté de Dieu comme avant avec la nécessité et avec la matière deux rapports différents. Cette différence est exprimée, pour l’imagination humaine, d’une manière inévitablement défectueuse, par le mythe du chaos primitif où Dieu établit un ordre, mythe qu’on a reproché à tort à la sagesse antique, et qui se trouve aussi indiqué dans la Genèse. Une autre manière d’indiquer cette différence est de rapporter particulièrement la nécessité à la deuxième personne de la Trinité regardée soit comme ordonnatrice, soit comme Âme du Monde. L’Âme du Monde n’est pas autre chose que l’ordre du monde conçu comme une personne. Un vers orphique indique la même différence en disant : « Zeus a achevé l’univers et Bacchus l’a parachevé. » Bacchus est le Verbe. Bien que la matière existe seulement du fait qu’elle est voulue par Dieu, la nécessité étant médiatrice est plus proche de la volonté de Dieu. La nécessité est l’obéissance de la matière à Dieu. Ainsi le couple de contraires constitué par la nécessité dans la matière et la liberté en nous a son unité dans l’obéissance, car être libres, pour nous, ce n’est pas autre chose que désirer obéir à Dieu. Toute autre liberté est un mensonge.

Quand on conçoit les choses ainsi, la notion de miracle