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même. Philolaos disait : « Les choses qui ne sont ni de même espèce ni de même nature ni de même rang ont besoin d’être enfermées ensemble sous clef par une harmonie capable de les maintenir en un ordre universel. » Le Christ est cette clef qui enferme ensemble le Créateur et la création. La connaissance étant le reflet de l’être, le Christ est aussi, par là même, la clef de la connaissance. « Malheur à vous, docteurs de la loi, disait-il ; vous avez enlevé la clef de la connaissance. » Cette clef, c’était lui-même, que les siècles antérieurs à lui avaient aimé d’avance, et que les Pharisiens avaient nié et allaient faire mourir.

La douleur, dit Platon, c’est la dissolution de l’harmonie, la séparation des contraires ; la joie est leur réunion. La crucifixion du Christ a presque ouvert la porte, a presque séparé, d’une part le Père et le Fils, d’autre part le Créateur et la création. La porte s’est entr’ouverte. La résurrection l’a refermée. Ceux qui ont le privilège immense de participer par tout leur être à la Croix du Christ traversent la porte, passent du côté où se trouvent les secrets mêmes de Dieu.

Mais plus généralement toute espèce de douleur et surtout toute espèce de malheur bien supporté fait passer de l’autre côté d’une porte, fait voir une harmonie sous sa face véritable, la face tournée vers le haut, déchire un des voiles qui nous séparent de la beauté du monde et de celle de Dieu. C’est ce que montre la fin du livre de Job. Job, au terme de sa détresse, que malgré l’apparence il a parfaitement bien supportée, reçoit la révélation de la beauté du monde.

Il y a au reste une espèce d’équivalence entre la joie et la douleur. La joie aussi est révélation de la beauté.