Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/173

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à la fois déchirantes et douces. L’univers tout entier, y compris nos propres existences qui en sont de petits fragments, est seulement la vibration de cette suprême harmonie.

Dans toute comparaison de ce genre qui semble dissoudre en faveur de Dieu la réalité de l’univers, il y a un danger d’erreur panthéiste. Mais l’analyse de la perception d’une boîte cubique fournit à cet égard une métaphore parfaite, préparée pour nous par Dieu. Il n’y a aucun point de vue d’où la boîte ait l’apparence d’un cube ; on ne voit jamais que quelques faces, les angles ne semblent pas droits, les côtés ne semblent pas égaux. Nul n’a jamais vu, nul ne verra jamais un cube. Nul non plus n’a jamais touché ni ne touchera jamais un cube, pour des raisons analogues. Si on fait le tour de la boîte, on engendre une variété indéfinie de formes apparentes. La forme cubique n’est aucune d’elles. Elle est autre qu’elles toutes, extérieure à elles toutes, transcendante à leur domaine. En même temps elle constitue leur unité. Elle constitue aussi leur vérité.

Nous le savons si bien avec toute l’âme que par une sorte de transfert du sentiment de la réalité, toutes les fois que nous regardons la boîte, nous croyons voir directement et réellement un cube. Et encore cette expression est beaucoup trop faible. Nous avons la certitude d’un contact direct et réel entre notre pensée et de la matière en forme de cube.

Dieu en disposant ainsi pour nous l’usage des sens corporels nous a donné un modèle parfait de l’amour que nous Lui devons. Il a enfermé dans notre sensibilité même une révélation.

Comme en regardant la boîte de n’importe quel point de vue nous ne voyons plus du tout des angles aigus ou