Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/179

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Ainsi ces moyennes, quoiqu’elles doivent compter parmi les nombres, n’ont de support que géométrique. Dès lors il fallait établir que l’on peut définir rigoureusement, pour ces quantités, les opérations arithmétiques et la proportion.

C’est ce qui est parfaitement bien accompli par le livre V d’Euclide, dont la matière est attribuée à Eudoxe, ami de Platon, élève du géomètre pythagoricien Anchytas. Ce livre contient ce qu’on nomme aujourd’hui la théorie du nombre réel, à l’état de perfection. Après la destruction de la civilisation grecque cette théorie a été perdue, quoiqu’on possédât toujours Euclide, simplement parce qu’on ne pouvait plus comprendre l’état d’esprit auquel elle correspondait. Au cours du dernier demi-siècle, les mathématiciens ayant retrouvé le besoin de la rigueur, on a réinventé cette théorie, car on ne savait pas qu’on l’avait dans Euclide. On s’en est aperçu après coup.

L’essentiel de cette théorie est une définition simple, une définition de la proportion au moyen des notions de plus grand et plus petit. On dit que a est à b comme c est à d, si ma > nb entraîne toujours mc > nd, et si ma < nb entraîne toujours mc < nd, quels que soient les nombres entiers m et n. On démontre facilement que cette condition est réalisée pour les triangles semblables. Dès lors il est permis d’affirmer en toute rigueur que la hauteur d’un triangle rectangle est moyenne proportionnelle entre les segments de l’hypoténuse.

Ainsi le rapport, qu’on peut aussi nommer nombre, à condition d’entendre par là nombre réel, est défini seulement par un certain ordre de correspondance qui lie mutuellement quatre ensembles d’une infinité de termes. Le nombre ou rapport (ἀριθμός ou λόγος) apparaît bien