Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/61

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même Personne, qui est le Fils unique de Dieu. On pourrait ajouter Apollon, Artémis, Aphrodite céleste et plusieurs autres.

Toutes ces concordances, à moins qu’on nie le caractère historique des Évangiles, ce qu’il semble difficile de faire sincèrement, ne portent pas atteinte à la foi, mais en sont au contraire une confirmation bouleversante. Elles sont même nécessaires. On voit partout — les vies des saints notamment le montrent clairement — que Dieu a voulu se lier à notre égard d’une manière telle que sa bonté même, pour s’exercer, a besoin de notre prière. Il peut donner infiniment plus que nous ne pouvons demander, car au moment où on demande, on ne connaît pas encore la plénitude de bien contenue dans ce qu’on demande. Mais après les premiers appels de la grâce, il ne donne pas sans qu’on demande. Comment Dieu aurait-il donné son Fils unique au monde si le monde ne l’avait pas demandé ? Ce dialogue rend l’histoire infiniment plus belle. En faisant apparaître cela, on pourrait donner aux intelligences d’aujourd’hui ce choc dont elles ont besoin pour porter à la foi chrétienne une attention neuve.

Si on leur disait : « Ce qui a produit cette prodigieuse civilisation antique, avec son art que nous admirons de si bas, avec cette science qu’elle a entièrement créée et que nous tenons d’elle, sa conception de la cité qui forme le cadre de toutes nos opinions, et tout le reste, ce qui l’a produite, c’est la soif prolongée pendant des siècles de cette source qui finalement a jailli et vers laquelle aujourd’hui vous ne tournez même pas les yeux… »

Si l’Amour divin est le modèle parfait de la justice, et cela parce qu’il est soustrait à tout contact avec la force, l’homme ne peut être juste qu’en se préservant pareille-