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des ennemis. Les ennemis, voyant arriver brusquement un cavalier au galop, le croient suivi d’une nombreuse armée et s’enfuient en désordre. Le petit tailleur devient gendre du roi.

Ce conte exprime la pure vérité. Il n’y a rien de plus réel en ce monde que la guerre, en comprenant aussi sous ce nom les conflits de force larvés, car c’est elle qui, comme dit Héraclite, fait les uns esclaves et les autres libres, les uns hommes et les autres dieux — faux dieux bien entendu. Elle est le principal moteur de la vie sociale et l’illusion en détermine presque entièrement la fortune. La guerre est faite de prestige. C’est ce qui permettait au diable de dire au Christ : « Cette puissance et la gloire qui y est attachée m’ont été abandonnées. » La valeur sociale suprême, ou plutôt unique, est le prestige. C’est bien une ombre, c’est un mensonge.

Les choses qui projettent cette ombre sont, dit Platon, des marionnettes. C’est-à-dire des choses réelles, mais artificielles, fabriquées comme images de choses réelles et naturelles. Ces marionnettes, ce sont les institutions sociales. Le bien que l’avare croit trouver dans l’or est une illusion, une ombre. La monnaie au contraire, en tant que moyen d’échange, est un bien, mais un bien de pure convention. Il y a une grande différence entre illusion et convention. La convention a une certaine réalité, mais de second ordre et artificielle. Si on cessait de regarder l’or comme une monnaie, il n’y aurait plus aucune valeur dans l’or. Si on ne lui reconnaissait d’autre valeur que son usage dans la circulation des marchandises, il n’y aurait en lui que du bien, quoique limité et de rang très bas, mais sans mélange de mal. Le bien contenu dans le sourire de Louis XIV, bien pour lequel la plupart des Français du xviie siècle se seraient fait tuer, était une