sorti de la caverne, sans jamais avoir détourné le regard des ombres qui se succèdent sur la muraille.
Platon a su que la justice réelle et parfaite doit être sans prestige. C’est l’absence de prestige, et non pas la souffrance, qui est l’essence même de la Passion. Les mots d’Isaïe « homme de douleurs, expert en maladies », n’ont de vrai sens que pour un peuple, où la maladie était méprisée. Mais la maladie aurait été trop peu. Il fallait une souffrance de caractère pénal, car l’homme n’est vraiment dépouillé de toute participation au prestige social que quand la justice pénale l’a retranché de la société. Aucune autre espèce de souffrance n’a ce caractère de dégradation irréductible, ineffaçable, qui est essentiel à celles qu’inflige la justice pénale. Mais il faut que ce soit vraiment la justice pénale, celle qui s’abat sur des criminels de droit commun. Un homme persécuté et condamné pour sa fidélité à une cause, à une collectivité, à une idée ou à une foi, pour des raisons nationales, politiques ou religieuses, ne subit pas cette perte totale de prestige. Quand même il subirait la mort après beaucoup de tortures et d’humiliations atroces, ses souffrances restent très loin de celles de la Croix. Bien que le Christ ait été en un sens le premier des martyrs, leur maître et leur modèle à tous, en un autre sens il est encore plus vrai de dire qu’il n’a pas été même un martyr. Il a été ridiculisé comme ces fous qui se prennent pour des rois, puis a péri comme un criminel de droit commun. Il y a un prestige attaché au martyr dont il a été tout à fait privé. Aussi n’est-il pas allé au supplice dans la joie, mais dans la défaillance de toutes les forces de l’âme, après avoir vainement supplié son Père de l’épargner et avoir vainement demandé à des hommes de le consoler.
Ce caractère essentiellement, irréductiblement pénal