Page:Weil - Intuitions pré-chrétiennes, 1951.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reconnu comme le juste, même par les dieux, pressent la parole la plus perçante qu’il y ait dans l’Évangile : « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

La raison que donne Platon à la souffrance du juste parfait est différente de celle de rachat, de substitution du châtiment qui apparaît dans le christianisme et déjà dans le Prométhée d’Eschyle. Mais il y a un lien entre les deux idées. C’est à cause du retournement opéré dans les choses par le péché originel qu’il y a cette incompatibilité entre l’apparence et la réalité qui oblige la justice parfaite à apparaître ici-bas sous la forme d’un criminel condamné. Si nous étions innocents, l’apparence serait la couleur même du réel et non pas un voile à déchirer.

C’est parce que l’apparence est fausse que le désir, qui est perpétuellement notre être même, bien qu’il soit désir du bien, nous porte toujours au mal aussi longtemps que nous n’avons pas accompli l’opération de conversion.

L’image de la caverne décrit cette opération d’une manière bien connue.

Dans le Banquet, on trouve aussi un tableau des étapes de l’âme vers le salut. Il s’agit là du salut par la beauté.

Diotime commence par la théorie de l’amour charnel comme étant le désir d’engendrer dans la beauté en vue de l’immortalité. La génération est ce qu’il y a d’indestructible dans la vie animale. Le désir d’éternité qui est en nous se trompe et va d’abord vers cette image matérielle de l’éternité. Par un lien mystérieux dont Platon ne cherche pas ici à rendre compte, le désir de génération est suscité ici par la beauté. La beauté charnelle puisqu’il s’agit de génération charnelle. Parallèlement, chez ceux qui en sont capables, la beauté spirituelle suscite un désir de génération spirituelle, l’amour alors fait naître des vertus, des connaissances, des œuvres de l’esprit.