Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/147

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ne se trouve amené à croire quand on voit les choses d’en haut. On est très mal placé en haut pour se rendre compte et en bas pour agir. Je pense que c’est là, d’une manière générale, une des causes essentielles des malheurs humains. C’est pourquoi j’ai tenu à aller moi-même tout en bas, et y retournerai peut-être. C’est pourquoi aussi je voudrais tant pouvoir, dans quelque entreprise, collaborer d’en bas avec celui qui la dirige. Mais c’est sans doute une chimère.

Je pense que je ne conserverai de nos relations aucune amertume personnelle, au contraire. Pour moi qui ai choisi délibérément et presque sans espérance de me placer au point de vue de ceux d’en bas, il est réconfortant de pouvoir m’entretenir à cœur ouvert avec un homme tel que vous. Cela aide à ne pas désespérer des hommes, à défaut des institutions. L’amertume que j’éprouve concerne uniquement mes camarades inconnus des ateliers de R., pour qui je dois renoncer à tenter quoi que ce soit. Mais je n’ai à m’en prendre qu’à moi-même de m’être laissée aller à des espérances déraisonnables.

Quant à vous, je ne peux que vous remercier de bien vouloir vous prêter à des entretiens dont j’ignore si vous pouvez tirer quelque profit, mais qui sont précieux pour moi.

Veuillez agréer l’assurance de mes sentiments distingués.

S. Weil.




Bourges, le 3 mars 1936.
Monsieur,

Je crois qu’il y a avantage entre nous à faire alterner les échanges de vues écrits et oraux ; d’autant plus que j’ai l’impression de n’avoir pas su me faire bien comprendre, lors de notre dernière entrevue.

Je n’ai pu vous citer aucun cas concret de mauvais accueil de la part d’un chef à une plainte légitime d’ouvrier. Comment aurais-je pu risquer d’en faire l’expérience ? Si j’avais rencontré un pareil accueil, le subir en silence – comme j’aurais probablement fait — aurait été