Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/206

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moyen demeurera. Vous trouvez qu’il comprend mal la situation ; il ne la comprendra pas du jour au lendemain ; mais il peut apprendre à la comprendre. Il a déjà, depuis dix-huit mois, appris beaucoup plus qu’on ne croit.

Ne faites donc pas la même erreur que lui. Il veut faire des choses que vous jugez absurdes, et vous avez besoin de lui. Si vous voulez qu’il ne les fasse pas, il faut tâcher de le calmer. Certaines précautions sont nécessaires pour l’embauchage et le débauchage : il faut les prendre, mais en les réduisant au strict minimum indispensable ; notamment, est-ce bien sur les petits patrons que doit s’exercer l’effort de réglementation pour la protection de la masse ouvrière ? Je ne le crois pas. Si les embauchages sont faits correctement dans la grande industrie, ne croyez-vous pas que le jeu naturel de l’offre et de la demande conduira à l’embauchage correct dans la petite industrie ? Si vous voulez réglementer un trop grand nombre d’entreprises, vous créez un fonctionnariat excessif, un contrôle impraticable, des frictions constantes. Ce n’est pas par une action directe, c’est pas une action indirecte que vous devez arriver à faire l’éducation du patronat petit et moyen. Celui-ci a l’habitude de s’adapter à ce qui est la force des choses ; s’il proteste aujourd’hui, c’est parce qu’il a devant lui la force des hommes, d’hommes qu’il n’a pas choisis, d’hommes qu’il estime tyranniques.

N’essayez pas de lui imposer votre volonté par des règlements qu’il ne comprend pas, vous n’y arriveriez pas. D’une part, vous ne pourrez le remplacer, non seulement parce que l’État échouera lamentablement dans cet essai, mais parce qu’il n’osera jamais l’entreprendre. Les masses ouvrières sont concentrées, il est vrai, mais elles ne représentent qu’un quart de ce pays ; elles ne peuvent lui imposer leur volonté. Pour avoir, faute d’expérience, manqué de mesure dans leurs revendications de salaires, voici qu’une grande partie du pays les désavoue sinon en paroles, du moins du fond du cœur. Ce n’est point en France qu’une exploitation d’État des petites entreprises sera jamais envisagée. Et, d’autre part, si vous renoncez à l’exploitation directe, soyez assurée que vos règlements multiples, divers et nécessairement inhumains, seront rapidement tournés, moqués, et tomberont en désuétude.

Vos patrons sont exaspérés ; pas au point, soyez-en assurée, d’oublier leur intérêt personnel, qui, pour une grande part, se confond avec l’intérêt général. Une grève générale