Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

est lié à l’existence de la grande industrie, indépendamment du régime social. Il consiste à établir un certain équilibre, dans le cadre de chaque entreprise, entre les droits que peuvent légitimement revendiquer les travailleurs en tant qu’êtres humains et l’intérêt matériel de la production. Un tel équilibre ne s’établirait automatiquement que s’il pouvait y avoir coïncidence parfaite entre les mesures à prendre en vue de ces deux objectifs ; coïncidence qui n’est concevable dans aucune hypothèse. En fait, cet équilibre ne peut jamais être fondé que sur un compromis. L’existence actuelle du régime capitaliste n’intervient dans les données du problème que pour donner un sens déterminé à la notion de l’intérêt de la production ; cet intérêt, dans le régime actuel, se mesure dans chaque entreprise par l’argent et se définit d’après les lois de l’économie capitaliste. Les patrons, en raison des avantages personnels qu’ils poursuivent, mais bien plus encore en raison de leur fonction, représentent nécessairement l’intérêt de la production ainsi défini. Ils tendent tout naturellement à faire de cet intérêt la règle unique de l’organisation des entreprises. Ils y ont à peu près complètement réussi, à la faveur de la crise, au cours des années passées. Les travailleurs, eux, tendent naturellement à faire entrer leurs droits et leur dignité d’hommes en ligne de compte. Ils ont accompli de sérieux progrès dans ce sens en juin dernier.

Il s’agit à présent de cristalliser ces progrès en un régime nouveau, qui serve la production dans toute la mesure compatible avec l’état d’esprit actuel des ouvriers, avec le sentiment renouvelé de la dignité et de la fraternité ouvrière, avec les avantages moraux acquis. Le sens dans lequel doit s’accomplir cette tentative est indiqué par la nature même du problème. Le patronat, dans sa mission de défendre la production de l’entreprise, a vu s’affaiblir entre ses mains les armes dont il disposait à l’égard des ouvriers : la terreur, l’excitation des petites jalousies, l’appel à l’intérêt personnel le plus sordide. Ce qui a été perdu de ce côté, il faut essayer de le regagner du côté des mobiles élevés auxquels le patronat s’adressait si rarement : l’amour-propre professionnel, l’amour du travail, l’intérêt pris dans la tâche bien accomplie, le sentiment de la responsabilité.

Il faut en second lieu que les ouvriers se sentent liés à la production par autre chose que par la préoccupation