Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/279

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Christ qui dessèche l’âme comme se dessèche le sarment coupé du cep. La taille de la vigne dure des jours et des jours dans les grands domaines. Mais aussi il y a là une vérité qu’on peut regarder des jours et des jours sans l’épuiser.

Il serait facile de découvrir, inscrits de toute éternité dans la nature des choses, beaucoup d’autres symboles capables de transfigurer non pas seulement le travail en général, mais chaque tâche dans sa singularité. Le Christ est le serpent d’airain qu’il suffit de regarder pour échapper à la mort. Mais il faut pouvoir le regarder d’une manière tout à fait ininterrompue. Pour cela il faut que les choses sur lesquelles les besoins et les obligations de la vie contraignent à porter le regard reflètent ce qu’elles nous empêchent de regarder directement. Il serait bien étonnant qu’une église construite de main d’homme fût pleine de symboles et que l’univers n’en fût pas infiniment plein. Il en est infiniment plein. Il faut les lire.

L’image de la Croix comparée à une balance, dans l’hymne du vendredi saint, pourrait être une inspiration inépuisable pour ceux qui portent des fardeaux, manient des leviers, sont fatigués le soir par la pesanteur des choses. Dans une balance un poids considérable et proche du point d’appui peut être soulevé par un poids très faible placé à une très grande distance. Le corps du Christ était un poids bien faible, mais par la distance entre la terre et le ciel il a fait contrepoids à l’univers. D’une manière infiniment différente, mais assez analogue pour servir d’image, quiconque travaille, soulève des fardeaux, manie des leviers doit aussi de son faible corps faire contrepoids à l’univers. Cela est trop lourd, et souvent l’univers fait plier le corps et l’âme sous la lassitude. Mais celui qui s’accroche au ciel fera facilement contrepoids. Celui qui a une fois aperçu cette pensée ne peut pas en être distrait par la fatigue, l’ennui et le dégoût. Il ne peut qu’y être ramené.

Le soleil et la sève végétale parlent continuellement, dans les champs, de ce qu’il y a de plus grand au monde. Nous ne vivons pas d’autre chose que d’énergie solaire ; nous la mangeons, et c’est elle qui nous maintient debout, qui fait mouvoir nos muscles, qui corporellement opère en nous tous nos actes. Elle est peut-être, sous des formes diverses, la seule chose dans l’univers qui constitue une force antagoniste à la pesanteur ; c’est elle qui monte dans