Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/281

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simple spectacle d’une poulie qui détermine un mouvement oscillant ; celles-là peuvent être lues au moyen de connaissances géométriques très élémentaires ; le rythme même du travail, qui correspond à l’oscillation, les rend sensibles au corps ; une vie humaine est un délai bien court pour les contempler.

On pourrait trouver bien d’autres symboles, quelques-uns plus intimement unis au comportement même de celui qui travaille. Parfois il suffirait au travailleur d’étendre à toutes les choses sans exception son attitude à l’égard du travail pour posséder la plénitude de la vertu. Il y a aussi des symboles à trouver pour ceux qui ont des besognes d’exécution autres que le travail physique. On peut en trouver pour les comptables dans les opérations élémentaires de l’arithmétique, pour les caissiers dans l’institution de la monnaie, et ainsi de suite. Le réservoir est inépuisable.

À partir de là on pourrait faire beaucoup. Transmettre aux adolescents ces grandes images, liées à des notions de science élémentaire et de culture générale, dans des cercles d’études. Les proposer comme thèmes pour leurs fêtes, pour leurs tentatives théâtrales. Instituer autour d’elles des fêtes nouvelles, par exemple la veille du grand jour où un petit paysan de quatorze ans laboure seul pour la première fois. Faire par leur moyen que les hommes et les femmes du peuple vivent perpétuellement baignés dans une atmosphère de poésie surnaturelle ; comme au moyen âge ; plus qu’au moyen âge ; car pourquoi se limiter dans l’ambition du bien ?

On leur éviterait ainsi le sentiment d’infériorité intellectuelle si fréquent et parfois si douloureux, et aussi l’assurance orgueilleuse qui s’y substitue quelquefois après un léger contact avec les choses de l’esprit. Les intellectuels, de leur côté, pourraient ainsi éviter à la fois le dédain injuste et l’espèce de déférence non moins injuste que la démagogie avait mise à la mode, il y a quelques années, dans certains milieux. Les uns et les autres se rejoindraient, sans aucune inégalité, au point le plus haut, celui de la plénitude de l’attention, qui est la plénitude de la prière. Du moins ceux qui le pourraient. Les autres sauraient du moins que ce point existe et se représenteraient la diversité des chemins ascendants, laquelle, tout en produisant une séparation aux niveaux inférieurs, comme fait l’épaisseur d’une montagne, n’empêche pas l’égalité.

Les exercices scolaires n’ont pas d’autre destination