Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/46

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donné toute ma vitesse. Erreur sur le compte, rectifiée à ma demande par l’ouvrière qui m’a suivie (très chic !)


Samedi. — 1 h. pour pratiquer un trou dans des bouts de laitons, placés contre une butée très basse que je ne voyais pas, ce qui m’en a fait louper 6 ou 7 (travail fait la veille avec succès par une nouvelle qui n’avait jamais travaillé, au dire du régleur Léon, qui gueule tant qu’il peut). Coulé — mais pas de réprimande pour les pièces loupées, parce que le compte y est.

¾ h. pour couper de petites barres de laiton avec Léon.

Facile — pas de bêtise.

Arrêt, nettoyage de machines.

1 bon non coulé (de 25 fr. 50).


Ouvrière renvoyée — tuberculeuse — avait plusieurs fois loupé des centaines de pièces (mais combien ?). Une fois, juste avant de tomber très malade ; aussi on lui avait pardonné. Cette fois, 500. Mais en équipe du soir (2 h. ½ à 10 h. ½), quand toutes les lumières sont éteintes, sauf les baladeuses (lesquelles n’éclairent rien du tout). Le drame se complique du fait que la responsabilité du monteur (Jacquot) est automatiquement engagée. Les ouvrières avec lesquelles je suis (Chat et autres, à l’arrêt — dont adm. de Tolstoï ?) pour Jacquot. Une d’elles : « Il faut être plus consciencieux, quand on a sa vie à gagner. »

Il paraît que cette ouvrière avait refusé la commande en question (sans doute délicate et mal payée) « travail trop dur », dit-on. Le chef d’atelier lui avait dit : « Si ce n’est pas fait demain matin… ». On en a conclu, sans doute, qu’elle avait loupé par mauvaise volonté. Pas un mot de sympathie des ouvrières, qui connaissent pourtant cet écœurement devant une besogne où l’on s’épuise en sachant qu’on gagnera 2 fr. ou moins et qu’on sera engueulé pour avoir coulé le bon — écœurement que la maladie doit décupler. Ce manque de sympathie s’explique du fait qu’un « mauvais » boulot, s’il est épargné à une, est fait par une autre… Commentaire d’une ouvrière (Mme Forestier ?) « Elle n’aurait pas dû répondre… quand on a sa vie à gagner, il faut ce qu’il faut… (répété plusieurs fois)… Elle aurait pu alors aller dire au sous-directeur : J’ai eu tort, oui, mais ce n’est pas tout à fait de ma faute quand même : on n’y voit pas bien clair, etc. Je ne le ferai plus, etc. »