Page:Weil - La Condition ouvrière, 1951.djvu/97

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Celui avec lequel je me suis liée. En apparence, brute épaisse. Certificats mirifiques. Une lettre de recommandation du Conservatoire des Arts et Métiers (où il a été apprenti jusqu’à 19 ans) : « Mécanicien qui fait honneur à son métier. » Habite Bagnolet (une bicoque à lui ??), ce qui complique pour lui la recherche du boulot ; explique ainsi son refus de faire plus de 8 h., mais je crois que ce n’est pas seulement ça. On fait 10 h. chez Renault. Trop pour lui. Avec le train, etc., « le dimanche on peut rester couché pour se reposer » (donc les sous, ça lui est égal). Ajoute : « 5 h., c’est assez pour moi. » A été contremaître plus d’une fois (certificats à l’appui). « Mais, me dit-il, je suis trop révolutionnaire, je n’ai jamais pu embêter les ouvriers. » Son erreur d’interprétation à mon égard, son attitude après. En me quittant : « Vous ne m’en voulez pas ? » Doit venir me voir chez moi. Mais pas devant Renault le lendemain matin… Le jour d’après, on frappe. Je suis couchée, n’ouvre pas. Était-ce lui ? Je n’entendrai plus jamais parler de lui…

Autre jour, devant Gévelot — le type à cheveux blancs, qui avant la guerre se destinait à la musique. Se dit comptable (mais se trompe dans calculs élémentaires) — cherche place de manœuvre. Pitoyable raté… On attend de 7 h. ¼ à 7 h. ¾ sous un peu de pluie, après quoi « pas d’embauche ». Chez Renault, embauche finie. Une h. d’attente devant Salmson.

Autre fois, chez Gévelot. On fait entrer les femmes. Grossièreté, dureté du type de l’embauche (chef du personnel ?) lequel engueule d’ailleurs aussi un contremaître qui répond bien humblement (plaisir de voir ça). Nous parcourt du regard comme des chevaux. « Celle-là la plus costaude. » Sa manière d’interroger la gosse de 20 ans qui 3 ans plus tôt a quitté parce qu’enceinte… Avec moi, poli. Prend mon adresse.

Celle qui, mère de 2 enfants, disait vouloir travailler parce qu’elle « s’ennuyait à la maison » et dont le mari travaillait 15 h. par jour et ne voulait pas qu’elle travaille ! Indignation d’une autre, mère de 2 enfants aussi, bien malheureuse de devoir travailler (devant Salmson).

Autre fois (?) rencontre la petite qui dit : « La baisse du franc, ça sera la famine, on l’a dit à la T. S. F. », etc.

Autre fois course à Ivry. « Pas de femmes. » Maux de tête…

Autre fois, devant Langlois (petite boîte), à Ménil-