Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/40

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de se sentir prêts à assumer un jour la responsabilité de toute la vie économique et politique. En fait, ils formaient le noyau le plus solide des organisations révolutionnaires. Or la rationalisation a supprimé leur fonction et n’a guère laissé subsister que des manœuvres spécialisés, complètement asservis à la machine. Ensuite est venu le chômage, qui s’est abattu sur la classe ouvrière ainsi mutilée sans provoquer de réaction. S’il a exterminé moins d’hommes que la guerre, il a produit un abattement autrement profond, en réduisant de larges masses ouvrières, et en particulier toute la jeunesse, à une situation de parasite qui, à force de se prolonger, a fini par sembler définitive à ceux qui la subissent. Les ouvriers qui sont demeurés dans les entreprises ont fini par considérer eux-mêmes le travail qu’ils accomplissent non plus comme une activité indispensable à la production, mais comme une faveur accordée par l’entreprise. Ainsi le chômage, là où il est le plus étendu, en arrive à réduire le prolétariat tout entier à un état d’esprit de parasite. Certes la prospérité peut revenir, mais aucune prospérité ne peut sauver les générations qui ont passé leur adolescence et leur jeunesse dans une oisiveté plus exténuante que le travail, ni préserver les générations suivantes d’une nouvelle crise ou d’une nouvelle guerre. Les organisations peuvent-elles donner au prolétariat la force qui lui manque ? La complexité même du régime capitaliste, et par suite des problèmes que pose la lutte à mener contre lui, transporte dans le sein même du mouvement ouvrier « la dégradante division du travail en travail manuel et travail intellectuel ». La lutte spontanée s’est toujours révélée impuissante, et l’action organisée sécrète en quelque sorte automatiquement un appareil de direction qui, tôt ou tard, devient oppressif. De nos jours cette oppression s’effectue sous la forme d’une liaison organique soit avec l’appareil d’État national, soit avec l’appareil