Page:Weil - Oppression et Liberté, 1955.djvu/78

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accéléré, et parce que les transports consomment une énergie sans cesse accrue en raison des innovations destinées à augmenter la vitesse, innovations nécessairement de plus en plus coûteuses et de moins en moins efficaces à mesure qu’elles se succèdent. Ainsi à tous ces égards le progrès se transforme aujourd’hui, d’une manière à proprement parler mathématique, en régression.

Le progrès dû à la coordination des efforts dans le temps est sans doute le facteur le plus important du progrès technique ; il est aussi le plus difficile à analyser. Depuis Marx, on a coutume de le désigner en parlant de la substitution du travail mort au travail vivant, formule d’une redoutable imprécision, en ce sens qu’elle évoque l’image d’une évolution continue vers une étape de la technique où, si l’on peut parler ainsi, tous les travaux à faire seraient déjà faits. Cette image est aussi chimérique que celle d’une source naturelle d’énergie qui serait aussi immédiatement accessible à l’homme que sa propre force vitale. La substitution dont il s’agit met simplement à la place des mouvements qui permettraient d’obtenir directement certains résultats d’autres mouvements qui produisent ce résultat indirectement grâce à la disposition assignée à des choses inertes ; c’est toujours confier à la matière ce qui semblait être le rôle de l’effort humain, mais au lieu d’utiliser l’énergie que fournissent certains phénomènes naturels, on utilise la résistance, la solidité, la dureté que possèdent certains matériaux. Dans un cas comme dans l’autre, les propriétés de la matière aveugle et indifférente ne peuvent être adaptées aux fins humaines que par le travail humain ; et dans un cas comme dans l’autre la raison interdit d’admettre à l’avance que ce travail d’adaptation doive nécessairement être inférieur à l’effort que devraient fournir les hommes pour atteindre directement la fin qu’ils ont en vue. Mais alors que l’utilisation des sources natu-