Page:Weil et Chénin, Contes et récits du XIXe siècle - 1913.djvu/153

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melons pour les manger; et elle s'en accordait deux ou trois par semaine, ne se pressant pas trop, et choisissant. Le jardinier se mit à l'affût, avec un fusil à deux coups. Il eut l'occasion de tirer, mais, trompé sans doute par un rayon de lune ou par une ruse du Petit-Poucet des chats, il ne tua cette fois-là qu'un de ses melons, l'aîné de ses melons. Le lendemain, on le priait de ne plus faire ainsi parler la poudre, pendant la paix nocturne. Alors ce jardinier, qui était adroit de ses mains, s'avisa de confectionner un piège. Il y a des gens comme çà qui, sans être menuisiers, vous prennent des bouts de planches, quelques clous; là-dessus, pan pan 1. Et ça fait une boîte. L'engin ainsi fabriqué était oblong et grand comme une malle de bonne, machiné comme une oubliette, appâté comme un réfectoire. Et l'infortuné chat du voisin ne tarda pas à être capturé. Le jardinier, semblable à tous les vainqueurs, avait besoin d'un joueur de flûte pour accompagner son air de triomphe. Il ` m'appela. Par un judas pratiqué dans sa caisse, il me dit de regarder à l'intérieur « La voyez-vous, la sale bête? » Je vis deux grands yeux sans expression, tout en lueurs, qui projetaient des rayons rapides sur des parois obscures. Puis, sans plus tarder, l'homme à la barbe bleue plongea la boîte dans une cuve d'eau qui servait à l'arrosage. Le faîte, un peu trop haut de quelques centimètres, échappait à la sübmer- sion. Nous entendîmes un grattis de griffes; ensuite, plus rien. Alors, le jardinier se mit à rire, oh! mais à rire tellement que cela me fit rire aussi. «  Si on se reposait sur ce banc?. fit-il. C'est bien le moins de lui laisser le temps d'apprendre à nager. » Et il se mit encore à rire, oh mais, à rire. Sans doute une première intuition du respect que l'on doit à ce qui est l'animation de tous les êtres commençait à me rendre pensif. Mon compagnon crut opportun de m'exposer ses connaissances expérimentales ou traditionnelles sur les chats. D'abord, il m'assura que, si on ne les tuait point, il n'y aurait bientôt plus de melons sur terre; en outre, que les chats se couchaient sur la poitrine des jeunes enfants, pour les étouffer durant le sommeil; enfin que, dans son pays, on jetait une douzaine de minets au milieu des feux de la Saint-Jean, pour porter bonheur au village. Après'le quart d'heure qu'avaient exigé ces récits récon- fortants, je courus regarder dans la caisse. A ma vue, le chat, qui, par un miracle d'énergie, s'était cramponné au plafond