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ESCALADES DANS LES ALPES.

tour, lui, Carrel, se serait avancé pour examiner de plus près la partie de la montagne qui restait encore à gravir, car il n’en regardait pas l’ascension comme impossible, mais il fut arrêté par le professeur, et manuellement il dut suivre ses compagnons[1].

On peut laisser à ceux qu’elles concernent le soin d’éclaircir ces contradictions. Tyndall[2], Walter et Bennen ne figureront plus désormais dans ce récit.

Le Val Tournanche est une des plus charmantes vallées des Alpes italiennes ; pour un artiste, c’est un vrai paradis, et, si j’avais plus d’espace à ma disposition, j’aimerais à décrire longuement ses bois de châtaigniers, ses ruisseaux aux eaux limpides et aux doux murmures, ses torrents mugissants, ses belles vallées supérieures dont on ne soupçonne pas l’existence, et enfin ses magnifiques rochers. Le chemin monte avec une pente assez raide, à partir de Châtillon, mais il est bien ombragé, et l’ardeur d’un soleil d’été y est tempérée par la fraîcheur que répand dans l’air l’écume des torrents glacés[3].

  1. Je me suis étendu un peu sur ce sujet, parce qu’on a paru surpris que Carrel eût pu franchir sans grande difficulté, en 1865, ce passage où échoua en 1862 une expédition aussi forte que celle de Tyndall. Tyndall échoua dans sa tentative parce que son second guide (Walter) refusa d’aider Bennen, lorsqu’il en fut requis, et parce que les Carrels ne voulurent pas lui servir de guides après avoir été engagés comme porteurs. Non-seulement J. A. Carrel connaissait parfaitement cette brèche avant d’y arriver, mais il avait toujours cru qu’il était possible de la franchir, et de faire ensuite l’ascension de la montagne ; et, s’il eût été ce jour-là guide-chef, je ne doute point qu’il n’eût fait monter Tyndall au sommet du Cervin. Mais, quand il fut prie d’assister Bennen (un Suisse et le chef reconnu de l’expédition), était-il vraisemblable que lui (un Italien, un porteur), qui avait la prétention de faire le premier l’ascension du Cervin par une route qu’il regardait tout particulièrement comme la sienne, pût se décider à lui rendre aucun service.

    On ne comprend guère que le docteur Tyndall et Bennen aient pu ignorer l’existence de cette brèche, car on la voit de plusieurs points et surtout du versant méridional du col Saint-Théodule il est encore plus difficile d’expliquer comment Tyndall a pu se croire si près du sommet du Cervin (à la distance d’un jet de pierre), car, lorsqu’il fut parvenu à l’extrémité de l’Épaule, il a dû parfaitement savoir qu’il lui restait tout le pic supérieur à escalader.

  2. Le docteur Tyndall fit l’ascension du Cervin en 1868. V. l’Appendice.
  3. On trouvera d’intéressants détails sur le Val Tournanche dans les Voyages dans les Alpes, par de Saussure, vol. IV, pages 373-81, 406-9, dans la brochure