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ESCALADES DANS LES ALPES.

les échos de l’Ébihorn vous renverraient en face ces décharges assourdissantes, vous ne croiriez voir que des pointes d’épingles rouler sur les flancs de la vieille montagne, tant les proportions en sont grandioses.

Souhaitez-vous assister à « des scènes de destruction ? » Approchez-vous-en plus près encore, escaladez-en les rochers escarpés et les arêtes, ou montez sur le plateau du glacier du Cervin, constamment déchiré et labouré par ces projectiles lancés de si haut, et dont la surface est parsemée de leurs plus petits fragments ; car les masses énormes, tombant avec une effrayante vitesse, plongent sous la neige et disparaissent à la vue.

Le glacier du Cervin, lui aussi, fait rouler ses avalanches, comme s’il voulait rivaliser avec les escarpements qui le dominent. Son côté septentrional ne se termine pas, comme dans les autres glaciers, par des pentes douces, il est coupé brusquement au sommet de rochers abrupts qui le séparent du glacier de Z’mutt ; rarement une heure se passe sans qu’une immense tranche de glace s’en détache et tombe avec un fracas effroyable sur les pentes situées au-dessous, où elle forme un nouveau glacier.

Les pins à l’aspect désolé, qui dépassent les lisières des forêts de Z’mutt, dépouillés de leur écorce et blanchis par les frimas, forment le premier plan d’une scène dont la grandeur solennelle ne saurait guère être surpassée. C’est un sujet digne du pinceau d’un grand peintre et l’un de ceux qui pourraient donner la mesure des facultés du plus grand de tous les artistes.

Au-dessus du glacier, le Cervin offre un aspect moins sauvage, mais il n’est pas moins impraticable. Trois heures plus tard, quand nous arrivâmes à l’îlot rocheux appelé le Stockje (qui marque la fin du glacier de Z’mutt proprement dit, et qui sépare le glacier plus élevé qui l’alimente, le glacier de Stock, de celui de Tiefenmatten qui est situé au-dessous, mais qui est plus grand encore), Carrel lui-même, un des hommes les moins démonstratifs que j’aie connus, ne put s’empêcher d’exprimer son étonnement en en contemplant les colossales parois si pro-