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ESCALADES DANS LES ALPES.

le visage comme si elle eût été brûlante au lieu d’être glacée. Nos dents claquaient malgré nous ; nous pouvions à peine parler ; notre haleine gelait instantanément ; manger était désagréable ; s’asseoir, impossible !

Nous regardâmes notre montagne. Son aspect n’était guère encourageant. L’arête qui conduisait au sommet formait une crête pointue, ornée d’une palissade d’aiguilles en miniature, dont la base était bordée d’épais bancs de neige fortement inclinés, qui descendaient, d’un côté, au glacier de Saleinoz, de l’autre au glacier du Chardonnet. C’eût été, en toutes circonstances, une entreprise fort difficile que d’escalader cette Aiguille par un pareil chemin. « Renoncez-y, » conseillait la prudence. La prudence l’emporta sur la vaillance. Moore et Almer traversèrent le col du Chardonnet pour se rendre à Orsières, et nous, nous retournâmes à Chamonix.

Mais à peine avions-nous franchi une faible distance que le démon qui pousse les hommes à grimper sur les montagnes nous inspira l’idée de nous arrêter et de jeter un regard en arrière sur l’Aiguille d’Argentière. Le ciel était sans nuages ; aucun vent ne se faisait ni sentir ni craindre ; il n’était que huit heures du matin ; et là, droit devant nous, un autre bras du glacier remontait bien haut dans la montagne, bien au-dessus du col du Chardonnet, et de plus, un joli petit couloir s’élevait de son extrémité supérieure presque jusqu’au sommet du pic. Le chemin était évidemment tout indiqué. Nous fîmes soudain volte-face et nous le suivîmes.

Le glacier était passablement escarpé, mais le couloir de neige l’était bien davantage. Il nous fallut tailler sept cents pas dans la neige. À ce moment, le couloir devint trop escarpé. Nous dûmes suivre les rochers sur sa gauche, et nous finîmes par gagner l’arête, à un point élevé d’environ 450 mètres au-dessus du col. Nous tournâmes alors à droite pour suivre l’arête, en montant sur la neige, un peu au-dessous de la crête, du côté du glacier de Saleinoz. Là, nous retrouvâmes le vent glacé ; mais aucun de nous ne songea à battre en retraite, puisque nous n’étions plus qu’à 75 mètres du sommet.