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Page:Whymper - Escalades dans les Alpes.djvu/279

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CHAPITRE XI.

Les haches de Croz et de Couttet durent se remettre à l’œuvre, car cette pente était aussi abrupte que peut l’être une pente de neige. La surface en était recouverte d’une croûte sèche, granuleuse et sans aucune consistance ; à peine y touchait-on qu’elle glissait aussitôt en larges bandes. Nos guides étaient obligés de traverser cette croûte pour atteindre avec leurs haches les couches plus anciennes et par conséquent plus solides ; à chaque instant, ils devaient en outre s’arrêter pour chasser la poussière de neige qui retombait sans cesse avec une sorte de sifflement sur la surface durcie qu’il leur fallait entamer. Brrrr ! quel froid il faisait ! Comme le vent soufflait ! Le chapeau de Couttet, arraché de sa tête, alla faire un tour en Suisse. Balayée sur l’autre versant de l’arête qui nous dominait, cette espèce de neige farineuse tourbillonnait en l’air comme dans une véritable tourmente, puis retombait mollement, ou bien, saisie par d’autres rafales, elle était emportée jusque sur le glacier de Saleinoz.

« Mes pieds s’engourdissent terriblement, » cria Reilly, « comment les empêcher de geler ? » — « Battez la semelle tant que vous pourrez, monsieur, » répondirent les guides, « c’est le seul moyen. » Le travail violent auquel ils se livraient empêchait leurs doigts de s’engourdir ; mais ils avaient les pieds froids ; aussi entaillaient-ils la neige alternativement avec leurs pieds et avec la hache. Je les imitai trop violemment, car un trou s’ouvrit tout à coup sous moi et l’on entendit un bruit semblable à celui que fait un morceau de faïence tombant au fond d’un puits.

Je descendis d’un pas ou deux et je découvris que nous étions sur une sorte de caverne (ce n’était pas à proprement parler une crevasse) dont la voûte était formée d’une mince croûte de glace, d’où pendait une forêt de stalactites. Presque au même instant, Reilly passa une de ses mains à travers le toit de cette caverne. Toute l’expédition pouvait à chaque instant le voir s’effondrer sous elle. « En avant ! Croz, nous sommes sur un abîme ! » — « Nous le savons bien, » répondit celui-ci, « et nous ne pouvons trouver un endroit solide. »