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ESCALADES DANS LES ALPES.

porte ni fenêtre, entourée de flaques d’ordures et d’une malpropreté impossible à décrire.

Un indigène, affreusement sale, nous invita à entrer. L’intérieur de la cabane était très-sombre ; mais, quand nos yeux se furent un peu habitués à l’obscurité, nous vîmes que notre palais occupait un espace d’environ 4 mètres 50 cent. sur 6 mètres ; si d’un côté il avait à peine 1 mètre 50 cent. de hauteur, de l’autre il avait presque 2 mètres ; sur le côté le plus haut avait été ménagée une plate-forme un peu élevée au-dessus du sol, large d’environ 1 mètre 80 cent. et couverte d’une litière de paille à moitié pourrie et de peaux de moutons encore plus dégoûtantes. C’était la chambre à coucher ; le reste formait tout à la fois le salon et l’atelier. L’indigène malpropre était fort occupé de la fabrication de ses fromages. Un de ces tabourets à un pied qui servent à traire les vaches, solidement attaché au bas de ses reins, lui donnait la plus étrange tournure quand il se levait pour souffler dans un grand tube, car, pour fabriquer ses fromages, il lui fallait souffler, à ce qu’il paraît, pendant dix minutes dans ce grand tube qui remplace un soufflet. L’opération terminée, il s’accroupissait sur son tabouret pour reprendre haleine, tirait quelques bouffées d’une petite pipe, puis se remettait à souffler dans son tube avec une vigueur nouvelle. Ce procédé de fabrication était, nous dit-on, indispensable à la bonne qualité du fromage ; il nous parut, je l’avoue, assez malpropre. Je sais maintenant d’où provient la saveur particulière de certains fromages suisses.

De gros nuages noirs et d’une teinte plombée, qui montaient de la vallée, vinrent se heurter sur le glacier de Moming avec d’autres nuages qui descendaient du Rothhorn. La pluie tomba par torrents au milieu des roulements assourdissants du tonnerre. Les pâtres accoururent se mettre à l’abri dans le chalet sans s’inquiéter du bétail qui sut bien descendre tout seul du pâturage, au triple galop, dans un steeple-chase effréné. Gens, vaches, pourceaux, chèvres et moutons, oubliant leurs antipathies réciproques, se précipitèrent vers le seul refuge qu’ils pussent trouver sur la montagne. Le charme qui avait depuis