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APPENDICE.

Une fois là, si bon guide qu’il fût, Bennen dut se retirer vaincu ; il était réservé au plus expérimenté des guides du Val Tournanche de découvrir le chemin difficile qui monte de ce point au sommet. »

M. Craufurd-Grove fut le premier touriste qui fit l’ascension du Cervin après l’accident ; aussi les habitants du Val Tournanche se montrèrent-ils enchantés de ce que cette ascension eût été exécutée par le versant italien. Néanmoins, il déplaisait fort à certains d’entre eux que J. A. Carrel attirât si vivement l’attention. Peut-être craignaient-ils de lui voir accaparer le monopole de la montagne. Un mois après l’expédition de M. Grove, six habitants du Val Tournanche se mirent en route pour tâcher de trouver à leur tour le meilleur chemin afin de participer aux bénéfices que pouvaient faire espérer les ascensions futures. Cette expédition se composait de trois Maquignaz, de César Carrel (mon ancien guide), de J. B. Carrel et d’une fille de ce dernier ! Partis du Breuil le 12 septembre à 5 heures du matin, ils arrivèrent à 3 heures du soir à la cabane où ils passèrent la nuits. Ils repartirent le lendemain matin à 7 heures, laissant en arrière J. B. Carrel, montèrent par l’Épaule jusqu’au pic principal, traversèrent la crevasse qui avait arrêté Bennen, puis se mirent à escalader les rochers relativement faciles du côté opposé jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés au pied du dernier précipice, du haut duquel nous avions fait rouler des pierres le 14 juillet 1865 ; Là ; ils n’étaient plus, y compris la jeune femme, qu’à 106 mètres du sommet ! Au lieu de tourner alors à gauche, comme Carrel et M. Grove l’avaient fait, Joseph et J.-Pierre Maquignaz s’attaquèrent à l’escarpement qu’ils avaient devant eux et parvinrent à gagner le sommet en se servant des crevasses, des saillies et des couloirs. Cette voie était plus courte (et sans doute plus aisée) que celle qu’avaient prise Carrel et Grove ; elle a été suivie par tous ceux qui ont fait depuis lors l’ascension du Cervin par le côté du Breuil[1]. Depuis, des cordes ont été fixées dans les endroits les plus difficiles de la partie la plus rapprochée du sommet.

Cependant on n’était point resté oisif de l’autre côté de la montagne. Une cabane fut élevée sur le versant oriental à 3818 mètres d’altitude, près du sommet de l’arête qui descend vers Zermatt (arête du nord-est). Ce travail fut exécuté aux frais de M. Seiler et du Club alpin suisse. M. Seiler en confia la direction aux Knubel, natifs de Saint-Nicolas, village de la vallée de Zermatt ; et Pierre Knubel et Joseph-Marie Lochmatter, du même village, eurent l’honneur de faire avec M. Elliott la seconde ascension de la montagne par le versant septentrional, le 24 et le 25 juillet 1868[2]. Depuis lors les ascensions du

  1. Joseph et Pierre Maquignaz montèrent seuls au sommet ; les autres, découragés, étaient redescendus. On doit, faire remarquer que J. A. Carrel et ses camarades avaient pris soin de fixer des cordes dans tous les endroits difficiles de la montagne jusqu’à « l’Épaule, » avant cette ascension : ainsi s’explique la facilité avec laquelle furent franchis, cette fois, des passages jadis fort difficiles. La jeune femme déclara que cette ascension (jusqu’au point où elle était parvenue) était très facile ; si elle eût monté à la même hauteur avant 1862, son opinion eût sans doute été toute différente.
  2. M. Elliott crut avoir évité l’endroit où avait eu lieu l’accident du 14 juillet 1865 et trouvé un meilleur passage ; d’autres voyageurs, qui ont aussi fait l’ascension par le versant septentrional, ont eu la même idée : mais, d’après toutes les informations que j’ai prises, on n’a dévié que d’une manière insignifiante de la route que nous avions suivie dans cette partie difficile mais