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la patricienne

existence. N’y en a-t-il pas des centaines qui, pour des excuses moins légitimes, ne se soucient pas autrement de l’importance que j’attache malgré moi à cette lutte politique, la dernière avant longtemps ?

Oui, tout cela est vrai. Mais celui-là doit-il hésiter qui sait que l’indifférence d’un petit nombre peut amener la ruine de tous ? Et puis, oserais-je vraiment changer d’avis sans rougir et sans m’attirer le mépris de Dougaldine ? Comment accueillera-t-elle ma décision si, à midi, je lui dis que je ne pars plus pour Berne ? Elle me remerciera peut-être de ma faiblesse. Mais, quelle sera sa pensée ? N’aura-t-elle pas raison de triompher ? Je lui paraîtrai tout simplement ridicule, d’autant plus que c’est moi-même qui ai mis une si grande insistance à parler des devoirs de chaque citoyen. Non, mille fois non, je ne veux pas avoir ce reproche à me faire ! Si le hasard doit unir nos deux existences, ce ne serait pas un beau début. On ne fonde pas un heureux foyer en foulant aux pieds ses principes. D’ailleurs, l’amour d’une femme ne s’achète pas ainsi. Non, encore une fois, quand même je devrais me traiter d’insensé. Qui sait ? Ma manière de voir pourrait bien être la plus sage, fl faut savoir renoncer à certaines conquêtes présentes pour s’assurer une victoire complète dans l’avenir. Autrement, on risque d’aller au-devant d’une irréparable défaite.

C’est donc décidé : je reste fidèle à ma parole. Si Dougaldine est réellement telle que je la juge, cette fermeté, loin de me nuire, me sera au contraire très favorable. Au reste, il viendra bien encore des jours où j’aurai, d’une manière ou d’une autre, l’occasion de lui ouvrir mon cœur…